Face à la baisse des cours du palladium, l’industrie des platinoïdes a un gros problème

Le palladium n’est plus une valeur sûre. En quelques semaines, le chapelet de résultats désastreux annoncés par les industriels des platinoïdes a jeté une lumière crue sur les difficultés du secteur. La filiale dédiée au platine du géant Anglo American, Amplats, a lancé le bal mi-février, en indiquant un résultat opérationnel en baisse de 71% par rapport à 2022. Ses concurrents ont suivi. Sur les six derniers mois de l’année, Impala Platinum – ou Implats – affiche un résultat net amputé de 88% par rapport à l’année précédente. Un chiffre qui grimpe à -91% du côté de Northam Platinum et à -43% pour African Rainbow Minerals, dont les résultats sont parus le 8 mars. Sibanye-Stillwater, enfin, a perdu plus de deux milliards de dollars en 2023 alors qu’elle en avait gagné plus d’un milliard l’année précédente !

Cette véritable débâcle pousse toutes les entreprises à activer leur mode survie et à chercher des économies partout où cela est possible. Quitte à fermer des mines et à annoncer des restructurations d’une ampleur rare. En février, Amplats a présenté un plan qui pourrait affecter 3700 emplois. Sibanye-Stillwater avait déjà fait part de sa volonté de se séparer de 2600 de ses employés et sous-traitants et n’écarte pas d’autres restructurations.

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Le palladium redevient moins cher que le platine

Que se passe-t-il ? Le platine et le palladium sont à la fois très rares dans la croûte terrestre et indispensables pour catalyser tout un tas de réactions chimiques dans l’industrie. Ces métaux précieux servent notamment à fabriquer les dispositifs antipollution des véhicules thermiques, au point que le prix du palladium (utilisé dans les pots catalytiques des moteurs à essence) avait explosé. Mais l’euphorie n’a pas duré. En 2023, le marché du palladium a été affecté par la croissance du véhicule électrique, le recyclage des vieilles voitures, et la possibilité technique nouvelle de remplacer le palladium par du platine pour les pots catalytiques des moteurs à essence.

Résultats : les cours du palladium, qui ont fluctué autour de 2300 dollars l’once – soit plus de 82 millions de dollars la tonne – ces trois dernières années, ont dégringolé. Pour la première fois depuis 2018, le palladium s’est même monnayé moins cher que le platine en février 2024, à un prix proche des 860 dollars l’once. Le rhodium, un coproduit qui sert également dans les dispositifs antipollution des voitures et dont les prix avaient explosé il y a quatre ans, est lui aussi en chute libre.

Déjà sous pression face à l’inflation, les opérateurs miniers sentent le choc. «Il y a des fermetures et des mises en veille de mines pour perdre moins d’argent et essayer de faire remonter les prix. Mais la question en suspens reste de savoir si la baisse des cours ne sera qu’un phénomène de court-terme : beaucoup de véhicules thermiques sont amenés à disparaître alors que c’est le plus gros marché», résume Mathieu Leguérinel, analyste au Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM).

Les platinoïdes ont un problème de panier

L’enjeu est plus large que le palladium. Sans débouchés de valeur pour ce métal, peu de mines de platinoïdes peuvent sortir la tête de l’eau. Les lois de la géologie imposent à chaque opérateur minier d’extraire un “panier” de métaux proches du platine qu’il a intérêt à commercialiser intégralement. «Dans chaque gisement, on trouve tous les platinoïdes : du platine, du palladium, du rhodium, de l’iridium, du ruthénium et de l’osmium», détaille Mathieu Leguérinel. Mais la répartition entre ces métaux n’est pas à la carte et dans tous les cas les deux premiers éléments représentent (en poids) plus de 90% du butin. D’où un impact pour toutes les mines du secteur, et en particulier celles du Canada et des Etats-Unis, qui contiennent plus de palladium que de platine (c’est l’inverse en Afrique du Sud).

Les producteurs rappellent que les marchés de ces deux métaux sont en déficit, et que l’industrie de l’hydrogène est très consommatrice de platine. Mais entre la disparition à venir du véhicule thermique et la croissance du recyclage, la demande à long-terme n’est pas garantie. Une situation inconfortable, d’autant que les mines de Sibanye-Stillwater et d’Impala Platinum en Amérique du Nord risquent de devenir «déficitaires de manière permanente à court ou à moyen terme», et que la moitié de la production d’Afrique du Sud est sur la même voie, estime Nornickel dans son dernier rapport annuel. Le géant russe, lui, s’en tirerait un peu mieux. Premier producteur de palladium dans le monde, il affiche des profits en baisse de 51% en 2023, mais son complexe minier monstre de Norilsk, en Sibérie, produit aussi du cuivre et du nickel et ne risque donc pas la fermeture.

Tensions sur l’iridium

«Le problème, c’est que même si on se fiche du palladium et du platine, on a besoin de leurs sous-produits et en particulier d’iridium pour l’hydrogène», alerte l’analyste du BRGM. Moins d’une dizaine de tonnes d’iridium sont produites chaque année (contre de l’ordre de 200 pour le platine ou le palladium), mais ce métal est essentiel au sein d’une famille d’électrolyseurs à la mode (dits PEM), au point que le risque de pénurie est pris très au sérieux par le secteur. «Sur le papier, il est toujours possible de ne chercher que de l’iridium, mais c’est très improbable car il faudrait des prix déments, d’autant que les mines du secteur sont chères et profondes », calcule Mathieu Leguérinel.

Les producteurs de platine mettent donc les bouchées doubles pour trouver des usages porteurs pour leurs produits principaux. Nornickel prévoit d’investir plus de 100 millions de dollars dans le développement et la commercialisation de produits contenant du palladium dans les prochaines années. Sibanye-Stillwater, de son côté, a annoncé le 15 février un partenariat avec l’entreprise allemande de métaux précieux Heraeus, pour diminuer les besoins d’iridium des électrolyseurs PEM et, surtout, trouver de nouvelles applications au palladium, notamment pour la purification d’hydrogène. Avis aux inventeurs.

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