La rumeur n’aura vécu que 36 heures sur les réseaux sociaux mais interroge, et c’était le but. La créature de l’Étang de Berre inventée de toutes pièces s’est frayé un chemin sur la toile, avec la complicité de médias locaux et de la mairie de Vitrolles. Poisson pilote d’un projet pédagogique autour des infox.
Le « Loch Berre« , de son petit nom, a vécu moins de deux jours dans les eaux vives des réseaux sociaux avant d’être pris dans les filets de la réalité. Cette créature mystérieuse n’était qu’une fausse information destinée à braquer les projecteurs sur l’Étang de Berre et ses écosystèmes. Un projet culturel et pédagogique conduit par l’association marseillaise Karwan, qui vise à élaborer un cas d’école autour de la fabrication des infox.
La rumeur est née le 28 septembre, un entrefilet glissé au milieu des colonnes de la Provence. Dans sa rubrique locale, le journal évoquait en bref « une apparition mystérieuse au fond de l’étang« .
Le 3 octobre à 8H39, BFM relaye un communiqué de la Ville de Vitrolles et la présence d’un « genre de créature non identifié dans l’eau, long de plusieurs mètres« .
Le GIBREB, syndicat mixte de l’étang, rapporte sur son site que le mercredi 27 septembre 2023, ‘ »un habitant de Vitrolles, fréquentant la base nautique » affirmait « avoir vu ce jour un phénomène étrange dans l’étang de Berre » et en appelait à la vigilance des riverains et aux témoignages sur ce « monstre du Loch Berre« .
En 36 heures, les réseaux sociaux s’emballent avec près de 500 000 vues sur Facebook, 15 000 sur Twitter et plus de 5 000 partages sur Tiktok.
« On aurait bien voulu que ça dure un peu plus longtemps », explique Anne Guiot, un peu déçue que la rumeur n’ait pas pris plus d’ampleur. La présidente de l’association Karwan, à l’origine du projet, se satisfait tout de même d’avoir provoqué quelques remous, » l’objectif étant d’attirer l’attention sur la fragilité des écosystèmes« , dans la plus grande lagune de France, située entre Marseille et la Camargue.
Mais la rumeur n’a pas résisté aux interrogations de la presse, démentie par des journalistes parfois agacés d’avoir été menés en bateau par un monstre marin imaginaire. « Certains émettaient des réserves, d’autres y adhéraient, mais tous saluaient la création de cette fable écologique« , se félicite Karwan, dont le projet ne s’arrête pas là. » Ce n’était que l’acte 1, il en reste deux autres « , explique Anne Guiot.
Un coin de voile est alors levé sur la fabrication de cette rumeur. Il s’agit en réalité du point de départ d’un projet culturel, soutenu par les institutions de la Région, du Département et de la Métropole, qui entend relier écologie, littérature et éducation aux médias.
Bruno Latour ne cessait de dire qu’il faut inventer de nouveaux récits pour comprendre l’écologie. C’est ce que nous tentons de faire ici.
Anne Guiot, présidente de l’association Karwan
Anne Guiot se réfère au philosophe écologiste Bruno Latour : « Créer de l’imaginaire était une idée centrale pour nous« , raconte la présidente de Karwan, qui a bénéficié de la complicité Yohanne Lamoulère, photographe ayant donné vie à la Créature de l’Etang de Berre, en créant son image.
« La Ceb, de son nom de code » continuera à vivre sous la plume d’une l’auteure jeunesse installée à Ventabren (13). Sophie Rigal-Goulard animera de janvier à mars 2024 des ateliers d’écriture avec des collégiens du pourtour de l’étang, pour donner corps à cette fable écologique.
Qu’est-ce que les fake news et pour quelles raisons prolifèrent-elles ? Un sujet au cœur de l‘action gouvernementale sur la mésinformation qui sera aussi celui de l’acte 3 du projet.
À l’heure où s’ouvrent les Etats généraux de l’information, lancés ce mardi 3 octobre, il s’agira d’analyser qu’elle a été la trajectoire du monstre du Loch Berre et sa durée de vie sur les réseaux sociaux, afin de plonger les jeunes dans les eaux troubles de la désinformation.