Des noces forcées entre film et musique sur les Ballets russes au Stadium de Vitrolles

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L’idée de faire danser les images de trois réalisateurs différents, à la place des corps, sur les trois ballets russes de Stravinsky joués en direct par l’Orchestre de Paris, est, sur le papier, une idée assez géniale de la part du Festival d’Aix. De retour dans l’atypique Stadium de Vitrolles après la proposition de Romeo Castellucci l’année passée qui se saisissait absolument du monolithe noir, nous nous retrouvons ici devant un écran placé au-dessus de l’orchestre, qui ampute la scène d’une grande partie de sa surface, des rideaux noirs masquant le reste. Dans ces conditions, pourquoi venir précisément ici pour un tel évènement ? Réalisatrice du film projeté sur L’Oiseau de Feu, Rebecca Zlotowski évoque la camera oscura que constitue le bloc de Ricciotti. Entendu. Mais le Grand Théâtre de Provence aurait été du même effet, nous évitant, de manière très pragmatique, de cuire près de trois heures durant – le problème d’aération de l’année passée ne semble toujours pas résolu…

Les Ballets russes au Stadium de Vitrolles

© Jean-Louis Fernandez

L’orchestre, à l’effectif considérable, est surélevé, résolvant en partie les problèmes acoustiques déjà observés en ce lieu, et nous permettant d’observer du haut des gradins ce qui relève du choc de la soirée. Majestueux, unanimement ovationné après chaque ballet ainsi qu’à la fin de la soirée, Klaus Mäkelä, et avec lui l’Orchestre de Paris, se hisse définitivement avec cette performance hors norme à la hauteur des chefs les plus talentueux, à tout juste vingt-sept ans. Parlons de performance quand il s‘agit de jouer d’affilée trois œuvres aussi complémentaires, exigeantes et différentes que L’Oiseau de feu, Petrouchka et Le Sacre du printemps, obligeant même une rotation de certains pupitres pour tenir la soirée.

Klaus Mäkelä dirige l’Orchestre de Paris au Stadium de Vitrolles

© Jean-Louis Fernandez

Lyrique dans le premier, festif à souhait et à l’affût du moindre détail dans le deuxième, puissamment tellurique dans le troisième, le chef propose à la phalange parisienne un marathon qui ne supporte aucun temps mort, aucun appel d’air, dans une homogénéité de pupitre qui force l’admiration. Observez avec quelle joie, bonheur et apparente facilité le chef plonge allègrement dans ce maelström de mesures, de battues changeantes, dont certains passages figurent parmi les plus exigeants de l’histoire de la direction musicale. Après l’époustouflante performance d’Esa-Pekka Salonen l’année dernière et à la tête du même orchestre, il faut reconnaitre que l’école finlandaise de direction a la baguette heureuse !

Klaus Mäkelä dirige l’Orchestre de Paris au Stadium de Vitrolles

© Jean-Louis Fernandez

Dans ces pièces où chaque musicien a de quoi se mettre sous la dent, il faut rendre hommage à chaque pupitre pour la précision, l’écoute globale et le souffle de l’exécution. Ce sont les cuivres (le cor d’André Cazalet dans L’Oiseau de feu !) et les percussions, véritable pouls commun aux trois œuvres ; les cordes dans Petrouchka qui se métamorphosent à l’infini, à en être hypnotique ; les contrebasses et le piano épais, précis et sauvagement percussifs dans Le Sacre ; les bois, partout colorés ; les harpes et célesta ne sont pas en reste. C’est une course de fond en forme de passage de relais impeccablement homogène qui est menée, et ne trouvera son aboutissement que dans le fracas final et sacrificiel du dernier opus.

Les Ballets russes au Stadium de Vitrolles

© Jean-Louis Fernandez

Côté visuel, la soirée est moins réjouissante. Si l’on voit bien que le format ciné-concert n’est pas la forme souhaitée, on ne peut s’empêcher de se demander ce qui relève d’une association libre ou d’une réelle construction à partir de la musique, naviguant à vue d’un extrême à l’autre avec une prédominance assumée pour la première hypothèse, dans un geste globalement très expérimental.

Dans ce « je t’aime moi non plus » entre image et musique, le film d’Evangelía Kranióti sur Le Sacre du printemps est peut-être le plus probant, offrant une oscillation entre documentaire et fiction sur fond de plusieurs trames narratives. Se créent quelques épiphanies visuelles, dont un ralenti de carnaval brésilien et de feu d’artifice sur les rythmes tranchés et vifs du final de « L’Adoration de la terre ».

Les Ballets russes au Stadium de Vitrolles

© Jean-Louis Fernandez

Zlotowski choisit une correspondance plus médiumnique avec L’Oiseau de feu, en réutilisant les rushs de son Planétarium qu’elle dit avoir construit avec, à l’oreille, un des thèmes de l’œuvre comme motif permanent. Pour qui n’a pas vu le film et malgré la récurrence d’une colombe, la lecture du livret de salle est essentielle afin de saisir quelques correspondances… Quant à Bertrand Mandico, si l’allusion à Petrouchka se veut plus littérale que les autres en transposant son action lors d’un défilé de mode en sous-sol, son esthétique kitsch inspirée des années 1980 et les figures loufoques et dystopiques qu’il convoque flirtent avec de nombreux poncifs soit liés à l’actualité (violences policières…) soit résolument naïfs. Le format de projection en diptyque se révèle plus redondant et esthétisant qu’exhausteur de sens.

Les Ballets russes au Stadium de Vitrolles

© Jean-Louis Fernandez

L’exercice mériterait assurément d’être affiné lors d’une prochaine tentative grâce à des propositions plus humbles et moins narcissiques, afin d’éviter (ou de jouer avec) les écueils du ciné-concert et de l’association libre.

***11

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