Vertige… Celui des terres rouges chargées de bauxite, qui dominent les torchères de l’étang de Berre et d’où émerge le cube sombre du Stadium, cette salle de béton brut longtemps abandonnée et dont le Festival d’Aix participe à la renaissance depuis l’année dernière. Celui des gradins ensuite, mur à l’à-pic brutal et vertical, bien loin de la douceur romantique du Théatre de l’Archevêché (la vaste fosse dans laquelle prend place l’Orchestre de Paris n’a jamais sans doute si bien porté son nom). Enfin, celui qui naît de la rencontre de la musique d’Igor Stravinski et des regards de trois cinéastes, Rebecca Zlotowski, Bertrand Mandico et Evangelia Kranioti, projetés sur un écran large comme un terrain de basket. En se déplaçant pour quatre soirées à Vitrolles, le Festival d’Aix visite de nouveaux territoires. Surprend, déstabilise, irrite, séduit, c’est selon et c’est tant mieux, tant la manifestation dirigée par Pierre Audi témoigne ainsi de sa vitalité, de sa capacité à bousculer son public, à élargir ses horizons.
Choisir une des aventures les plus créatives et audacieuses du début du XXe siècle, la participation d’Igor Stravinski aux Ballets Russes de Serge de Diaghilev, allait en ce sens. Plus encore demander à trois créateurs actuels – tout en les dotant de moyens conséquents – de dialoguer avec quelques-uns des travaux les plus emblématiques du compositeur russe, « L’Oiseau de feu », « Petrouchka » et « Le Sacre du printemps ».
Première proposition, celle de Rebecca Zlotowski démarre sur l’effervescence d’un cabaret de l’entre-deux-guerres, devient mise en abyme quand on comprend qu’il s’agit du tournage d’un film avec Natalie Portman pour vedette (l’actrice était présente incognito samedi à Vitrolles), crée un troisième niveau lorsqu’une médium coincée dans une machine empruntée à « Metropolis » (Lily-Rose Depp) réveille les traumatismes d’un réalisateur rescapé des gaz et des tranchées, alors que Louis Garel incarne la fragilité de la beauté et de l’insouciance. Bertrand Mandico est, lui, plus proche du conte russe traditionnel qui servait d’argumentaire à « Petrouchka ». Sa lecture en dyptique porte toutefois une plastique techno-punk plus de notre temps, le pantin signe de l’indifférence des puissants aux sentiments humains devient jeune fille gavée de pilules, un char d’assaut cruel fait écho au drame de l’Ukraine. Enfin, pour « Le Sacre du printemps », Evangelia Kranioti passe – de façon plus prévisible – de la nature sauvage aux bas-fonds du Brésil, avec une inévitable chamane comme interface.
Est-ce parce que composées pour des ballets, avec un enchevêtrement de rythmes, les pièces de Stravinski se prêtent particulièrement à l’image ? Toujours est-il que la conversation est une réussite, les fracas et les craquements du compositeur qui fouettent au sang enveloppent les trois films, tout comme les cisaillements des cordes parfaitement emmenés par le chef d’orchestre finlandais Klaus Mäkelä expriment les tensions. On en ressort conquis, réjoui de voir combien la création d’hier peut inspirer celle d’aujourd’hui.
« Ballets Russes », les 10, 11 et 12 juillet à 21 heures au Stadium de Vitrolles festival-aix.com
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