Les clients passent les portes automatiques de la galerie Carrefour et ressortent aussitôt, le caddie vide. Sur le chemin du retour, ils interpellent les passants qui se dirigent vers l’hypermarché : « Vous allez faire vos courses ? Le magasin est fermé, les salariés sont en grève. » « Ils ont bien raison de se battre pour un salaire décent », réagit une jeune femme en montant dans son véhicule.
Devant l’entrée principale, quelque 150 personnes participent au piquet à l’appel de l’intersyndicale CGT, Unsa et CFDT, qui annonce un mouvement suivi par 100% des 420 salariés. En cause : la dégradation des conditions de travail, la fonte des effectifs et la perte de pouvoir d’achat auxquelles ils font face depuis 2022 et le passage en location-gérance sous l’enseigne Labelvie. « Au moment de la reprise, ils nous ont laissés miroiter un partage des richesses et nous ont assuré qu’ils maintiendraient nos salaires, remet Ali Zamoun, représentant CFDT. Depuis, ils ne font que grappiller nos
acquis. »
Michel Fernandez, représentant Unsa, liste : « On nous ampute d’une semaine de repos et on nous sucre les jours de fractionnement. Grosso modo, on nous a tapés entre 10 et 15 jours de vacances. Au niveau de la mutuelle, on nous demande plus d’argent pour la même couverture. Les taux horaires de nuit ont baissé. Les gens qui travaillent le matin n’ont plus droit aux tickets resto. On nous a supprimé la prime vacances. » Exit aussi l’ancienneté. « Je travaille ici depuis 23 ans, je suis payé 1 390 euros, illustre Samir Yousfi, en charge du rayon fruits et légumes. Mon fils qui est apprenti touche plus que moi. J’ai honte. » Nordine Debbache, représentant CGT, estime que les employés ont perdu « presque 3 000 euros de salaire en 2023 alors que le coût de la vie ne fait qu’augmenter ».
Un débat sur la location-gérance
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est le retrait de la prime d’intéressement. « Ils plaident un mauvais résultat pour ne pas nous l’accorder, développe Jonathan Sanfora, délégué syndical CGT. Ils disent avoir perdu 200 000 euros en 2023, mais le chiffre d’affaires est tout de même de 122 millions d’euros. »
Les grévistes revendiquent une augmentation de salaire significative, une participation d’un montant de 1 500 euros minimum et une revalorisation des niveaux 1 à 4. « Sur cinq niveaux, trois sont au Smic », affirme encore l’élu. « Il y a 9 euros de différence entre les postes à responsabilités et ceux qui n’en ont pas », complète Michel Fernandez.
À 11 heures, les représentants des salariés sortent d’une rencontre « peu concluante » avec la direction. « On va lancer une expertise comptable incessamment sous peu pour obtenir les données économiques de l’entreprise », annonce Jonathan Sanfora. Pour Patrick Ait-Aissa, délégué national CGT sur les hypermarchés, il faut un véritable débat sur la location-gérance. « Carrefour, via une multitude de petites choses comme les frais de catalogue ou les frais logistiques, vient ponctionner des sommes phénoménales sur le chiffre d’affaires, explique-t-il. Mais le repreneur veut aussi faire du fric. Quelle est la variable d’ajustement ? Les salaires et les effectifs, qui sont pressés, pressés, pressés. Et donc, ça devient invivable. »