Vendredi 5 janvier de bon matin, Martine Donnette est déjà en colère. Elle vient de raccrocher avec le secrétariat de Gérard Larcher, président (LR) du Sénat. « J’ai expliqué que malgré la convention européenne des droits de l’Homme, malgré une directive de justice de 2008 sur l’accès aux droits, aujourd’hui, quand un commerçant est confronté à un permis de construire frauduleux, il n’a aucun recours. On m’a encore répondu à côté », peste la présidente de l’association « En toute franchise », couvée du regard par son trésorier de mari, Claude Diot. Un jour comme les autres chez ce couple dont l’association se bat depuis 30 ans contre les abus de la grande distribution, la concurrence déloyale, « la corruption » disent-ils, des élus locaux, et enfin l’inertie de l’état.
Des grandes enseignes épinglées
Leur croisade prend sa source dans les années 80. Au cours de l’extension de la galerie commerciale de Carrefour Vitrolles, Claude Diot et Martine Donnette perdent respectivement un magasin de puériculture et une franchise Phildar, victimes selon eux d’un montage administratif et judiciaire au mieux opaque. Depuis, quand il n’est pas suspendu au téléphone, le duo, aidé de son avocat, multiplie les courriers à tout ce que la France compte d’édiles, de ministres et de préfets, tout en estant en justice. Quelque 250 dossiers examinés et 50 gagnés dans 57 départements en trois décennies.
Un chapiteau de vente de chrysanthèmes installé discrètement au Casino de Salon-de-Provence en 1999 ? Martine et Claude sollicitent le préfet et obtiennent deux ans plus tard sa suppression. Ikéa Vitrolles fait la même chose pour vendre des meubles de plein air ? Le duo saisit le préfet et Ikéa finit par se mettre en règle. Au cœur de leur guerre : le non-respect de la loi Royer, qui impose d’obtenir l’autorisation de la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) pour l’ouverture d’un établissement dès qu’il atteint 1000 m2. En n’appliquant pas les pénalités de 150 euros par jour et par mètre carré frauduleux, l’état s’assiérait sur 418 milliards d’euros, selon les calculs et le titre d’un livre que le couple a distribué à chaque député et sénateur en 2022. En 2000, B&M, anciennement Babou Plan-de- Campagne, a fait les frais de leur ire en ouvrant 4000 m2 sans le sésame de la CDAC. 23 ans plus tard, en décembre dernier, Martine Donnette et Claude Diot ont obtenu du tribunal administratif de Marseille que le préfet contraigne l’enseigne à fermer le temps de la régularisation. Récemment, ils ont introduit une procédure contre l’enseigne Grand Frais et la mairie de Gardanne, qui ont signé un permis de construire pour un projet de 936 m2, d’après un calcul « qui a permis de maintenir artificiellement la surface de vente déclarée à une superficie inférieure à 1000 m2 » et donc d’esquiver la CDAC, selon les éléments présentés au tribunal administratif par leur avocat.
« Faire respecter la loi »
Trente ans d’une telle lutte ont infusé ce couple d’ex-commerçants d’une vision de la démocratie très pure : la loi, toute la loi, rien que la loi. Mais Claude Diot, petit-fils de communiste, a un geste vers l’appel du général de Gaulle, encadré sur le buffet, tandis que Martine Donnette cite comme modèle Simone Veil. « On veut que l’État récupère son argent et que la loi soit respectée », déclarent-ils de concert. « Les lois, c’est un équilibre, c’est la République. Nous, on a dans la famille des jeunes qui ont des projets, qui veulent s’installer en tant que commerçants. On fait ça pour eux. » Et pour les 1800 adhérents de l’association, conclut le couple. Qui, à 75 ans printemps pour l’une et 80 pour l’autre, n’entend pas encore désarmer.